Sonia est en avance, assise dans sa voiture depuis une vingtaine deminutes avant que la cloche ne retentisse, elle regarde distraitement les
élèves qui sortent peu à peu de l’école. Elle ne peut s’empêcher de remarquer à
quel point tout semble différent : des garçons qui portent leurs jeans bas
découvrant des sous-vêtements multicolores, des filles au maquillage soigné
malgré leur jeune âge, des vêtements déchirés qui semblent exprimer une audace
dont elle n’avait pas osé rêver à leur âge.
Un soupir lui échappe, « Où était-elle pour ne pas voir le mondechanger aussi vite ? ». Elle pense à sa propre jeunesse, une époque où la
retenue et les valeurs de respect étaient souvent transmises dès le plus jeune
âge : les jeans n’étaient pas déchirés, les filles ne portaient pas de
maquillage et l’idée de se montrer sous un jour qui n’était que celui de la
simplicité aurait semblé presque incongrue.
Puis la cloche sonne, la ramenant brusquement au présent, ellecherche son fils qui s’approche enfin de la voiture, les écouteurs vissés dans
les oreilles, le regard plongé dans son téléphone ; il monte dans la voiture,
la salue d’un geste rapide et se renferme aussitôt dans son univers numérique,
ses doigts glissant sur l’écran sans une seconde d’hésitation.
Elle garde le silence. Autrefois, à peine la porte de l’écolefranchie, elle se souvient de l’empressement qu’elle avait de partager sa
journée avec sa propre mère, de lui raconter les petites anecdotes, les rêves
et les idées futiles. Aujourd’hui, elle réalise qu’une barrière semble s’être
dressée, une sorte de mur invisible qui sépare les générations, construit à
coups de technologie, de silences, et de préoccupations intérieures que chacun
garde pour soi.
Tout au long du chemin, les questions ne cessent de tourner dansson esprit : « A-t-elle manqué quelque chose d’essentiel ? Est-ce de sa faute
si les conversations semblent s’effacer peu à peu comme des pages que le temps
n’a jamais voulu écrire ? ». Elle se demande si pour son fils elle pourrait
être plus présente, plus ouverte ou peut-être simplement trouver une façon de
briser ce mur. Comment pourrait-elle changer pour éviter que cette distance ne
s’agrandisse ? Pour qu’il sache qu’il est là, qu’elle écoute et qu’elle est
prête à comprendre, envers même celui-ci lui semble étrange.
En silence, elle se promet d’essayer, de chercher une nouvellemanière d’être, de recréer cet espace où les mots circulent librement. Parce
qu’après tout, la communication est un pont fragile mais précieux qui mérite
tous les efforts.
Nadia B.
Les-Murmures-Des-Ombres